par Amandine Hamon
Le 23 mars dernier, le Secrétaire-général des Nations Unies, António Guterres, a appelé à un « cessez-le-feu mondial », appelant toute l’humanité à combattre un ennemi commun, la pandémie de COVID-19. Celle-ci a d’ailleurs été qualifiée de « plus grand défi auquel le monde est confronté depuis la formation des Nations Unies ». Visant tous les acteurs, aussi bien étatiques et non étatiques, actuellement investis dans des combats armés, l’appel de l’ONU a encouragé certains dirigeants à s’approprier ce discours. On peut néanmoins se demander si cet appel aura des conséquences réelles sur les zones en conflits, alors que certains réseaux transnationaux en profitent pour relancer leurs actions violentes sur le terrain.
Un appel relayé à travers le monde
« Le virus n’épargne aucune nationalité, communauté ou religion. Il attaque tout le monde sur son passage, implacablement. Pendant ce temps, les conflits armés continuent de faire rage dans le monde » affirmait Antonio Guterres le 23 mars, soulignant que la pandémie affecte les plus vulnérables, c’est-à-dire les personnes marginalisées, déplacées, les personnes en situation de handicap, les femmes et les enfants. « Renoncez aux hostilités, laissez de côté la méfiance et l’animosité, posez les armes, faites taire les canons, mettez fin aux frappes aériennes » a-t-il imploré à ceux qui font la guerre.
Plusieurs figures d’autorité politique et religieuse ont apporté leur soutien à l’appel d’Antonio Guterres. Le 27 mars, Moussa Faki Mahamat, le président de la commission de l’Union Africaine, a à son tour cité « l’obligation morale et humanitaire de toutes les parties en guerre à arrêter les combats immédiatement pour faciliter les mesures prises par les États membres pour lutter contre la pandémie de coronavirus ».
Le 30 mars, le Pape François a renchéri en demandant la cessation de toute forme d’hostilité, et la création de couloirs humanitaires, l’ouverture à la diplomatie, et l’attention à ceux qui se trouvent en situation de vulnérabilité. Le Haut-Représentant aux Affaires étrangères de l’Union européenne, Josep Borrell, ainsi que le Secrétaire-général de l’OSCE, Thomas Greminger, ont aussi rejoint l’appel. En tout, cinquante-trois pays ont affirmé leur soutien.
À la suite de l’appel, l’ONU a aussi mis en ligne une pétition qui a recueilli près de 2 millions de signatures, laissant apparaître un certain consensus en faveur de cet élan pour enrayer la pandémie et protéger les plus vulnérables, notamment ceux affectés par des conflits.
Les zones de combat particulièrement à risque face au Covid-19
Les zones affectées par des conflits sont particulièrement fragiles dans un contexte de pandémie. Les risques mis en avant par le Secrétariat général, dans un rapport publié sur son site, sont les effets socio-économiques que pourraient avoir les mesures sanitaires et, plus immédiatement, l’aggravation des conditions déjà difficiles dans lesquelles se trouvaient certains pays fragiles affectés par des conflits. Leur dépendance aux réseaux d’aide transnationale les rend particulièrement vulnérables à la propagation de la maladie, alors que celles-ci font déjà au manque de ressources nécessaires pour faire y face.
Historiquement, Connolly et Heymann identifient la combinaison mortifère des maladies infectieuses et de la guerre comme l’une des principales sources de souffrance dans l’histoire de l’humanité, car ces maladies exploitent les conditions créées par la guerre et affectent autant les armées que les civils.
Dans un rapport publié le 24 mars, l’International Crisis Group alertait la communauté internationale de la fragilité des pays en conflit pour faire face à cette pandémie, s’inquiétant particulièrement de ses impacts sur les opérations de paix. Les mesures sanitaires risquent de constituer un frein à la fluidité de l’aide humanitaire. Depuis, le Crisis Group a rejoint le consortium d’organisme soutenant l’appel onusien.
Crisis Group met en garde la communauté internationale contre cinq tendances dans le contexte de la pandémie: (1) vulnérabilité accrue des populations en zones de conflits; (2) dommages aux mécanismes de résolution de conflits; (3) risque contre l’ordre social; (4) exploitation politique de la crise; (5) et déséquilibre de pouvoir entre les grandes des puissances.

Les terrains où la situation est la plus critique sont ceux où des guerres se sont enlisées et affligent la société dans son entièreté, notamment la Syrie, au Yémen et en Libye. Les conditions de vie de la population dans la province d’Idlib sont particulièrement problématiques. Les populations déplacées, à l’interne et au-delà des frontières, se trouvent particulièrement vulnérables face à la Covid-19. Le rapport du Crisis Group cite notamment le camp d’Al-Hol, au nord de la Syrie, où vivent 70 000 personnes.
Dans une entrevue réalisée par vidéoconférence, le directeur Afrique de Comité international de la Croix-Rouge (CICR) rappelle que « les guerres n’ont pas cessé [en Afrique] à cause du Covid-19 » et qu’il ne faut « surtout pas arrêter l’action humanitaire ».
D’autres organismes ont signalé leurs inquiétudes, à l’image de Joanne Marine, conseillère pour Amnistie Internationale, qui a affirmé qu’elle surveille particulièrement les effets disproportionnés que la pandémie pourrait avoir sur les femmes.
Un impact global à relativiser
Plusieurs exemples cités dans des communiqués onusiens laissent entrevoir certaines lueurs d’espoir suite à l’appel d’Antonio Guterres sur « la famille humaine ». La mise à jour du Secrétaire-général, datée du 2 avril, fait état d’une série de pays dans lesquels son appel a d’abord été bien accueilli, citant la Libye, l’Afghanistan ou encore les Philippines.
Au Soudan, un cessez-le-feu unilatéral a été annoncé par le gouvernement ainsi que la plupart des mouvements armés, même si les inquiétudes sur les conditions sécuritaires et humanitaires persistent, notamment au Darfour. Au Cameroun, le 25 mars, les Forces de défense du sud ont annoncé un cessez-le-feu subséquent à l’appel onusien.
L’efficacité de l’opération, au niveau mondial, reste cependant difficile à confirmer. Si certains belligérants ont accepté de mettre en place des courtes périodes d’arrêt des combats, les guerres continuent. « Les armes ne se sont pas tues, partout et dans l’instant », reconnait département de la communication globale de l’ONU, début avril 2020, en appelant à d’autres efforts.
En Colombie, l’Armée de libération nationale (ELN) a entamé un cessez-le-feu unilatéral présenté comme un « geste humanitaire », dès le 1er avril, mais ses opérations militaires ont repris le 1er mai. En Libye, la pause humanitaire prévue pour gérer l’urgence de la propagation a été de courte durée. Si elle avait été acceptée par le gouvernement puis l’Armée nationale libyenne (ANL) du général Haftar, les combats ont repris de plus belle sur toutes les lignes de front. Enfin, en Afghanistan, les Talibans ont rejeté le dernier appel du président Ashraf Ghani avant le début du Ramadan, fin avril, affirmant qu’une trêve ne serait « pas rationnelle ».
En parallèle, il semblerait que certains groupes armés capitalisent sur les circonstances. Par exemple, l’État islamique a encouragé ses militants à « exploiter l’opportunité » que représente la pandémie en détournant l’attention du monde de la lutte contre le terrorisme.
Pour la professeure Clionadh Raleigh, directrice du projet Armed Conflict Location and Event Data Project (ACLED), il faut relativiser l’impact potentiel de cet effort. S’il est « une grande initiative », elle soutient que les données ne permettent pas d’en affirmer l’efficacité sur le terrain. Elle s’inquiète particulièrement d’une montée de la xénophobie qui pourrait résulter de la peur associée à la pandémie.
Conclusion
En somme, si le message de paix d’Antonio Guterres est un effort louable pour souligner la vulnérabilité accrue de certaines populations dans ce contexte, il ne faut pas prendre pour acquise son efficacité, ni mettre tous les groupes armés dans la même case. Que les armes soient déposées dans certains cas particuliers ne garantit pas la réception unanime de cet appel, aussi inspirant soit-il.
À propos de l’auteure

Amandine Hamon est recherchiste à l’émission Arrêt sur le monde, au CÉRIUM et présidente de l’association des étudiants aux cycles supérieurs en études internationales (AECSEI). Étudiante à la maitrise en études internationales à l’Université de Montréal, elle s’est aussi formée en science politique à l’Université McGill et l’Universidad del Salvador à Buenos Aires, puis en journalisme, à l’Université de Montréal.
Excellente analyse et synthèse merci pour cet article.
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